"La stratégie de Nicolas Sarkozy, comme de François Hollande, conduira le pays à la révolution"
Publié le par Gagny en mouvement
Dans une interview au quotidien Les Échos, François Bayrou juge que "l'oubli de la crise dans la campagne est une atteinte à l'intérêt national", mardi 3 avril.
Les Echos - Des candidats assurent que la crise est derrière nous. L'Insee vient d'annoncer que la France a réduit son déficit plus vite que prévu. Est-ce à dire que la gestion des finances publiques n'a pas été si mauvaise ?
François Bayrou - L'oubli de la crise dans la campagne est une atteinte à l'intérêt national. Présenter comme une victoire un déficit de 5,2 % du PIB, c'est stupéfiant ! Cela représente près de 10 % de la dépense publique. Comme si quelqu'un gagnait 900 euros et en dépensait 1.000. C'est une blague de faire croire que les comptes de la France vont se redresser plus vite que prévu quand Nicolas Sarkozy a promis, rien que la semaine dernière, de 8 à 10 milliards de dépenses supplémentaires et que François Hollande annonce de 28 à 30 milliards de dépenses supplémentaires par an. Si nous restons dans cette spirale de déficit, de dette et d'effondrement de notre commerce extérieur, notre modèle social ne sera plus finançable. C'est une question de survie !
LE - Pensez-vous que les Français sont prêts à entendre ce discours ?
FB - Il n'est pas de peuple qui ait envie qu'on lui expose des inquiétudes et des exigences. Mais il y a un moment où l'enjeu devient vital. D'ici à quelques mois ou quelques semaines, si on ne prend pas les décisions nécessaires, la France se retrouvera dans la même situation que l'Italie ou l'Espagne avec l'obligation de faire des coupes sévères et dangereuses sur les salaires des fonctionnaires et les retraites, sans même être assuré de guérir. La lâcheté collective de la classe politique est de la non-assistance à pays en danger. La présidentielle de 2012 est la dernière occasion de prendre des décisions les yeux ouverts et en toute conscience.
LE - Vous affichez un objectif de réduction de 50 milliards de la dépense publique sur deux ans. Ne serait-il pas plus convaincant de donner des exemples concrets d'économies ?
FB - Toute la presse et tous les hommes politiques laxistes cherchent à faire passer l'idée que ces sacrifices seraient insupportables pour la nation. Je refuse ce scénario de peur collective. Ma thèse est qu'il n'est pas fatal que notre modèle social coûte plus cher que les autres. La France consacre 57 % de son produit national en dépense publique alors que l'Allemagne se limite à 47 %. On peut faire mieux sans dépenser plus. La Cour des comptes l'a confirmé, il n'est qu'un moyen pour s'en sortir : ne pas dépenser 1 euro de plus pendant deux ans. Si nous respectons cette discipline-là, nous obtenons les 50 milliards d'euros d'économies sans avoir à couper à la hache.
LE - Mais encore ?
FB - Les exemples sont nombreux pour faire mieux sans dépenser plus : nous pouvons réorganiser les urgences hospitalières en créant, en amont, des centres d'accueil et de soins associant des médecins de ville. Une urgence hospitalière c'est 250 euros contre 60 euros pour la médecine de ville. Si ces centres prennent en charge 8 millions de patients atteints de pathologies banales (soit 50 % du total), on peut économiser plus de 1,5 milliard sans que le service rendu soit mis en cause. La relance du dossier médical personnalisé, qui permet de disposer de la totalité des examens déjà réalisés sur le patient, peut faire économiser 3 milliards. Revoir la politique du médicament, pour sortir de la surmédicamentation que nous connaissons, c'est encore de 4 à 5 milliards.
LE - Aucune de ces pistes n'aura d'effet dès 2013...
FB - En 2013, la création de ressources nouvelles est le premier pas vers le rééquilibrage. J'augmenterai de 1 point la TVA, je baisserai le montant des niches fiscales. Nous devons supprimer tous les doublons entre administrations locales, régionale et nationale car la France est un pays suradministré et sous-géré. Et puis, nous allons devoir étaler les programmes des collectivités locales et de l'Etat : ce qui devait être fait sur deux ans, le sera sur trois ans.
LE - Nicolas Sarkozy et François Hollande proposent aussi de revenir à l'équilibre d'ici à la fin du prochain quinquennat. En quoi seriez-vous plus crédible qu'eux ?
FB - L'un et l'autre ont retenu des hypothèses de croissance irréalistes, ce qui décrédibilise totalement leurs engagements de retour à l'équilibre. Mais il y a pire. François Hollande prévoit 172 milliards d'euros de dépenses nouvelles sur cinq ans et Nicolas Sarkozy 104. C'est de la pure folie. En ce qui me concerne, je m'en tiendrai à 44 milliards de dépenses, soit une progression inférieure à l'accroissement de la richesse nationale. Et ces dépenses ne seront engagées qu'une fois les finances publiques revenues à l'équilibre.
LE - Parlons fiscalité. La hausse de 1 point de TVA que vous assumez dans votre programme concernera-t-elle tous les taux ?
FB - Je n'envisage pas de toucher aux produits de première nécessité. En revanche je vais m'attaquer aux niches fiscales en les diminuant toutes de 15 % et en supprimant trois niches : la niche Copé (plus de 5 milliards), la déduction des intérêts d'emprunt pour LBO et la défiscalisation des heures supplémentaires (2 milliards). Il n'y a aucune raison que celui qui peut faire des heures car son entreprise est en bonne santé ne paie pas l'impôt, alors que d'autres salariés privés d'heures sup en raison de la santé moins florissante de leur entreprise en paient. C'est injuste. En revanche, je conserverai les allégements de cotisations sociales sur les heures supplémentaires afin de ne pas décourager le travail.
LE - S'agissant des hauts revenus, votre programme prévoit, d'« exclure des charges déductibles au titre de l'impôt sur les sociétés les rémunérations au-delà de 50 fois le SMIC ». Vous voulez concurrencer François Hollande sur ce terrain ?
FB - Quand François Hollande veut taxer à 75 % les revenus supérieurs à 1 million d'euros ou instaurer un bouclier fiscal à 85 %, c'est comme s'il affichait en grand sur les murs : « En France, interdit de réussir ». Mais il n'y a pas de raison que des rémunérations aussi importantes que 50 SMIC viennent en déduction des résultats d'une entreprise. C'est une défiscalisation abusive.
LE - Trop de rigueur ne risque-t-il pas de tuer la croissance ?
FB - « Les Echos » devraient être les derniers à poser cette question !... L'assainissement de la dépense publique est une condition de la confiance donc de la croissance. Un pays en bonne santé économique est un pays dans lequel on investit. Et, pour cela, il faut que le long terme soit rassurant. Et si la dette est hors contrôle, les taux d'intérêt exploseront. Ce serait une atteinte directe à la capacité d'investissement du pays, des entreprises et des ménages. Le pire des services que l'on puisse rendre à une économie, c'est de la précariser.
LE - Considérez-vous, comme certains candidats, que les banques ont profité de la crise ?
FB - J'ai été le seul à défendre les banques lors de la crise des dettes souveraines. Je n'en suis que plus libre pour leur dire qu'il n'est pas normal qu'elles continuent de prêter à des taux de 4, 5 ou 6 % quand la Banque centrale européenne leur a prêté 1.000 milliards d'euros à 1 % seulement. Cela s'appelle de l'enrichissement sans cause.
LE - Que proposez-vous ?
FB - Les banques doivent avoir la décence et le souci civique de prêter à des taux acceptables, en particulier aux PME. Je demanderai à la Banque de France de défendre auprès des régulateurs européens une modification des règles prudentielles de manière à pouvoir soutenir des prêts de longue durée. Et une loi-cadre sur le « produire en France » capitalisera les banques régionales, associant les collectivités locales, que j'entends créer. Et ce de telle sorte qu'elles puissent soutenir ces concours nouveaux aux PME.
LE - Soutenir le crédit aux PME ne suffira pas à faire baisser le chômage. Que proposez-vous d'autre ?
FB - J'ai été le premier à dire que c'est en retrouvant le produire en France qu'on retrouvera de l'emploi. Ma proposition d'un emploi sans charge pour chaque entreprise de moins de 50 salariés, réservé à un primo-accédant ou à un chômeur, permettrait de créer 150.000 à 200.000 emplois financés par la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires. Je mettrai aussi en place une stratégie nationale par filière. Prenons un exemple : la filière bois accuse un déficit commercial de 7 milliards. Cette filière compte 450.000 emplois en France alors que l'Allemagne en a 800.000 avec 20 % de forêt en moins. Nous pourrions donc avoir 400.000 ou 500.000 emplois de plus si nous exploitions de la même manière nos forêts. L'Allemagne a su également relancer sa filière textile. Pourquoi pas nous ?
LE - Faut-il aller jusqu'à assouplir le droit du travail, relever la durée du travail, faciliter le travail du dimanche ?
FB - Tous les sujets peuvent être sur la table. Sauf un : la baisse des salaires. Mais peut-on avoir le même cadre légal dans le secteur agricole ou dans l'économie numérique alors que les contraintes, notamment horaires, n'ont rien à voir ? L'idée d'un temps de travail uniforme, sans tenir compte de la pénibilité, est absurde et contreproductif. Les accords emploi-compétitivité voulus par le gouvernement sont une bonne chose s'ils permettent de donner de la souplesse à la vie économique et sociale. Quant au travail du dimanche, je refuse que la société soit marchandisée sept jours sur sept. C'est une question de principe mais aussi d'efficacité économique, car ce qu'on dépenserait le dimanche, on ne le dépenserait pas durant la semaine.
LE - La crise de l'euro n'a-t-elle pas montré qu'une approche intergouvernementale est plus efficace qu'une approche fédérale ?
FB - Vous plaisantez ? La méthode intergouvernementale imposée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel n'a conduit qu'à traîner dix-huit mois avant de trouver une solution. Ce qu'il faut, c'est démocratiser les instances européennes en élisant au suffrage universel un responsable qui assumera les responsabilités fusionnées de la présidence de la Commission et de la présidence du Conseil. Il faut aussi une Cour des comptes européenne avec une compétence pour examiner ce qui se passe dans chacun des Etats membres. Ainsi qu'une commission des Finances du Parlement européen et des Parlements nationaux. Seule une légitimité européenne forte permettra d'imposer une réelle réciprocité commerciale avec la Chine et de s'opposer au dumping monétaire qu'elle pratique. Un ensemble de 500 millions d'habitants a la force politique pour dire à ses partenaires commerciaux : si vos produits ne sont pas soumis aux mêmes contraintes que les nôtres, n'attendez pas que nous demeurions sans réactions.
LE - De quel programme économique vous sentez-vous le plus proche ? Celui de Nicolas Sarkozy ou celui de François Hollande ?
Je ne trouve d'idée claire ni chez l'un ni chez l'autre. Ils n'ont pas de vision cohérente car chacun se laisse entraîner par son extrême. Hollande sort un taux d'imposition à 75 % pour marquer Mélenchon à la culotte. Sarkozy menace de sortir de Shengen pour séduire l'électorat de Marine Le Pen. J'affirme que la stratégie de l'un comme de l'autre conduira le pays à la révolution. Je suis le seul à proposer de bâtir avec les réformistes de chaque camp en refusant de céder aux sirènes des extrêmes.
03/04/12 à 07h50
François Bayrou invité de RTL
03/04/12 à 08h20
Robert Rochefort invité de RFI
03/04/12 à 08h40
François Bayrou invité de LCP