GAGNY:"Le vrai changement, profond, honnête, ce sera de rassembler au-delà d'un parti", estime François Bayrou

Publié le par MoDem

 

19 mars 2011

François Bayrou

François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, a répondu aux questions du journal France Soir, samedi 19 mars.

Dans cette interview, il réaffirme son indépendance "totale" vis-à-vis de la Gauche et de la Droite, et revient sur les grandes actualités du moment. Découvrez ses propos !

FRANCE-SOIR : L’ONU vient d’adopter le recours à la force pour déloger le colonel Kadhafi en Libye. Sarkozy a-t-il eu raison de porter cette revendication ?

FRANÇOIS BAYROU : Défendre le peuple libyen et la résistance libyenne, jusqu’à une décision de l’ONU et une intervention, cela a été une juste inspiration. La France, cette fois, a été à la hauteur de son histoire et de ses valeurs. Alain Juppé a très bien orchestré l’action diplomatique. Et je suis content que, pour une fois, la France et la Grande-Bretagne aient travaillé ensemble. C’est un vrai pas en avant.

F.-S. Une nouvelle fois, l’Europe s’est divisée…

F. B. L’Europe ne parvient pas à vaincre ses démons. Ses institutions ne fonctionnent pas. La « diplomatie bruxelloise » est trop souvent sans influence et d’ailleurs sans message. Et sur ces sujets l’Allemagne est paralysée. Il y a beaucoup à reconstruire.

F.-S. L’intervention militaire ne risque-t-elle pas de nous entraîner très loin ?

F. B. Une intervention sur un pays grand comme trois fois la France, si elle était décidée, ce n’est pas rien. Il faut donc avoir les idées bien en place : c’est le peuple libyen qui a son destin entre ses mains et nous sommes solidaires de ses aspirations. C’est lui qui a commencé et qui mène la résistance. L’intervention de forces internationales est faite pour empêcher Kadhafi d’écraser son peuple, pas pour déclarer la guerre à un pays et en prendre le contrôle…

F.-S. En quoi le tsunami et la catastrophe nucléaire au Japon nous imposent-ils, comme vous l’avez dit, d’avoir désormais une autre vision du monde ?

F. B. C’est en même temps un drame planétaire et une immense crise technologique. Les morts se comptent déjà en milliers, peut-être en dizaines de milliers. Les images du tsunami, filmé en direct, ont bouleversé la planète entière. Dans un paysage de cauchemar, des centaines de milliers de personnes errent sans aide, sans chaleur, sans nourriture, presque encore sans secours, à la recherche des leurs dont il ne reste rien. Et l’accident nucléaire nous rappelle une peur ancestrale, celle du feu qui échappe à ses créateurs. S’y ajoutent le rayonnement et les retombées qui tuent sans qu’on les voie. Or, les précédentes catastrophes nucléaires, à Tchernobyl et à Three Miles Island étaient dues à des erreurs humaines. Cette fois, c’est la technologie qui a été submergée par la nature, par les forces telluriques auprès desquelles l’homme, avec toute sa science, n’est pas grand-chose.

F.-S. Vous avez comparé cet événement au 11 septembre 2001…

F. B. Oui. Je crois son impact tout aussi lourd : notre regard sur le monde, brutalement, est obligé de changer. Nous devrons regarder le risque d’une autre façon.

F.-S. L’accident de Fukushima a réveillé le débat sur le nucléaire en France…

F. B. Il y a deux dangers à éviter : 1. Devenir technophobe, apeuré par le progrès et la technique. 2. Refuser la question du risque majeur. Nous sommes devant cette interrogation fondamentale : si le risque est infini, a-t-on le droit de le prendre ? La question du risque – sa nature, sa dimension, ses enjeux… – ne peut pas se réduire au seul point de vue technique. Tout cela nous oblige à réfléchir non plus à l’immédiat, mais au très long terme. Par exemple, tout le monde sait que même si on le voulait, on ne pourrait « sortir » du nucléaire avant des décennies. Et penser le long terme, cela exige de la sagesse. Au fond, tout ce que les sociétés de profit immédiat et d’agitation médiatique avaient oublié.

F.-S. Comprenez-vous la revendication d’un référendum sur le nucléaire ?

F. B. Un référendum dans quelques années au terme d’un vrai débat national, sur nos grands choix énergétiques, cela peut s’envisager. Mais du jour au lendemain, dans un climat passionnel, sur un tel sujet, ce serait insensé.

F.-S. Claude Guéant a estimé que « les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux »…

F. B. Le piège est grossier : on prend des phrases que les Français peuvent dire entre eux, ou penser, parfois et même souvent, dans certains quartiers. Un ministre, s’exprimant officiellement, les reprend : cela n’a évidemment ni le même sens, ni le même écho. Les propos de bistrot, et les déclarations de ministre, ce n’est pas la même chose. Il le fait en espérant qu’une polémique naîtra, qui le fera applaudir par des partisans, ou des esprits en colère. Et pourtant cette phrase est en fait un incroyable aveu d’échec. Elle prouve que les Français sont mal en France. Et elle dénonce une « immigration incontrôlée ». Mais qui a la charge, depuis dix ans, dix années pleines, de contrôler l’immigration et d’assurer la sécurité ? N’est-ce pas M. Guéant, personnellement, missionné par Nicolas Sarkozy, qui a tout pouvoir, depuis une décennie, pour la contrôler ?

F.-S. La percée dans les sondages de Marine Le Pen vous surprend-elle ?

F.B. Je refuse de faire de Mme Le Pen le centre de la vie politique française. Pour autant, il faut affirmer que les deux « idées » qu’elle porte ne sont rien d’autre qu’un poison mortel pour la France : dresser les Français les uns contre les autres selon leur origine et leur religion, c’est mortel. Et prétendre que sortir notre pays de l’euro serait une solution, c’est préparer un drame. Car être obligés de rembourser avec une monnaie faible, une montagne de dettes libellées en monnaie forte, ce serait la misère pour le pays, et d’abord pour les travailleurs, les retraités, les pauvres.

F.-S. Comment analysez-vous l’offensive médiatique de Dominique Strauss-Kahn ?

F. B. Rien n’est dû au hasard : on assiste à une opération de grande ampleur orchestrée par des cabinets très connus, très importants : sondages bien orientés, publi-reportages programmés à la télévision, fausses confidences… On ne peut en conclure qu’une chose, c’est que la décision de Dominique Strauss-Kahn est prise. En soi, c’est une information. Si c’est vrai, la première concernée est Martine Aubry, liée par le « pacte »…

F.-S. Le PS, dirait-on, ne se soucie plus de vous…

F. B. Ils ont compris que nous ne voulons pas être récupérés. Le courant démocrate auquel j’appartiens est plus fort, plus juste, plus large, plus moderne que l’idéologie socialiste. Je pense que l’UMP et le PS ont chacun leur part de responsabilité dans la situation du pays. Tous les deux disent, jusqu’au ridicule : « C’est la faute des autres ! » Si l’on est à gauche, on pense que la droite est l’ennemie ; si l’on est à droite, on déteste la gauche. Et moi je pense que l’ennemi, c’est cette haine-là, qu’elle est ridicule, qu’elle n’est plus de saison. La gauche, la droite, le centre ont chacun leur identité, leur légitimité. Mais qu’est-ce qui interdit que des responsables issus de ces sensibilités différentes, qui se respectent, et qui s’accordent, travaillent un jour ensemble ? Quand je regarde le Japon, le nucléaire, le chômage, la Libye, la dette, l’éducation, tous les grands sujets dépassent le conflit droite-gauche. Et je sais que pour trouver les réponses, il faudra des majorités larges, associer des gens responsables et généreux et pas donner le pouvoir à un seul parti. Ce jour-là, le pays connaîtra la véritable rupture qu’il attend ! Le vrai changement, profond, honnête, sans le risque des extrêmes.

F.-S. Mais, contrairement à Hulot, Villepin ou Borloo, vous n’êtes pas très à la mode…

F. B. Vous me faites un compliment. Les choses importantes ne se construisent jamais à la surface, dans l’éphémère, dans la mode, elles se construisent dans la profondeur.

F.-S. La gauche n’a-t-elle pas déjà gagné ?

F. B. Les socialistes le croient. Mais les orientations profondes du pays ne sont pas en phase avec le PS.

F.-S. A droite, Sarkozy pourrait-il ne pas être candidat en 2012 ?

F. B. Les députés et les journalistes ne parlent que de cela. Mais, si Sarkozy renonçait à 2012, ce serait d’abord l’explosion dans son camp.

F.-S. Quels sont aujourd’hui vos rapports avec le Président ?

F. B. Il sait précisément ce que je pense et sur quels points nous sommes en opposition. J’ai fait le choix de rompre avec cette majorité parce que j’avais la certitude que les orientations de Nicolas Sarkozy allaient se trouver en contradiction profonde avec les attentes du pays. Il sait – et pour cause – que je n’ai pas fait cela par intérêt, que je ne marche dans aucune combine et que je tiens le même discours depuis cinq ans. Je n’ai changé ni de mots ni de regard à son égard. Quand il agit bien (ce n’est pas souvent), je le dis. Quand c’est le contraire, mes critiques ont le même tranchant aujourd’hui qu’hier, alors que lorsque tout le monde le courtisait.

Publié dans Actualités

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article