François Bayrou - La vérité ne devrait pas être un projectile

Publié le par Mouvement Démocrate

Mercredi soir sur BFMTV, François Bayrou a salué les avancées en matière de moralisation de la vie publique, mais regretté que le président de la République n'ait toujours pas "corrigé en profondeur la manière dont le monde politique est organisé".

Ruth Elkrief - Vous avez publié De la vérité en politique, il y a quelques semaines aux éditions Plon. En ce moment, la vérité chacun se la jette à la figure...

François Bayrou - La vérité ne devrait pas être un projectile ou une accusation, mais la règle élémentaire entre les citoyens et ceux censés les gouverner. C'est justement là que le bat blesse.

Aujourd'hui on a pu voir des débats agités à l'Assemblée nationale. Comment réagissez-vous ?

Comme les Français réagissent. Ils sont navrés, ils ne trouvent pas ça digne de la situation du pays et des efforts qu'ils ont eux à accomplir. Nous avons l'impression d'un monde politique qui vit en vase clos, de mouches dans un pot de confiture qui se cognent entre elles et contre les parois. Nous sentons bien qu'un des pas à faire était de passer dans une autre étape de la vie politique française. C'est ce qui a manqué dans l'intervention du président de la République ce midi.

Cette intervention comporte un certain nombre d'annonces. Il était déjà intervenu la semaine dernière. Avez-vous cette fois été convaincu ?

Il y a plusieurs chapitres. Ce que François Hollande a dit de la lutte contre les paradis fiscaux, contre la fraude fiscale et la corruption, j'ai trouvé que c'était bien. Il est utile pour lutter contre ces maux de créer un parquet spécialisé et un office central, c'est-à-dire de la police et des douanes. Les affaires de patrimoine, la haute autorité, pourquoi pas mais ce n'est pas essentiel et ce n'est pas là que ça se joue. Il manquait donc un chapitre indispensable : une correction de la manière dont le monde politique est organisé. J'estime que nous devons diviser par deux le nombre de ministres, diviser drastiquement le nombre de députés et de sénateurs, traiter maintenant le cumul des mandats, mettre un terme aux conflits d'intérêts et au mélange des activités privées et parlementaires.

Il y a eu des avancées sur ce point...

C'était indispensable. Nous voyons bien qu'il y a des professions qui exposent les parlementaires à l'influence des intérêts privés. Quand vous êtes avocat d'affaires, que vous conseillez une grande entreprise, vous êtes influençable.

C'est faisable ? Ne risque-t-on pas une assemblée de retraités et de fonctionnaires ?

Non. Aujourd'hui des dizaines de députés s'inscrivent comme avocats pour faire du conseil rémunéré auprès de grandes entreprises et ainsi savoir de quelle manière ils peuvent traduire leurs espoirs de façon législative. La commission Sauvé avait fait des propositions précises et il est bien qu'on fasse un pas dans cette direction. Mais on ne règle pas le problème des citoyens qui attendaient une nouvelle époque.

Vous n'allez pas parler de coup de balai, comme Jean-Luc Mélenchon ?

Non, je choisis mes mots. Je n'ai pas envie d'utiliser ceux des années 30. Vous voyez bien l'ambiance aujourd'hui qui ressemble à celle des ligues qui défilaient dans les rues, comme cela va se produire le mois prochain. Cette ambiance, ses déstabilisations qui viennent de la rue, sont un risque majeur. L'autre risque est que nous ne traitions pas les questions qui sont brûlantes pour les gens. Si le sommet de l'État ne fait pas les efforts nécessaires en temps utile, il y aura des mouvements extrêmement violents.

Les mesures d'aujourd'hui auraient-elles pu empêcher le scandale Cahuzac ?

Je pense que oui. Elles n'auraient pas pu l'empêcher de mentir ou de truquer, mais le parquet et l'office central auraient pu être saisis et arrêter cela très rapidement pour que ça ne dure pas plus d'une semaine.

Entendez-vous les ministres qui disent à François Hollande que la solution à cette crise est un changement de cap ? Arnaud Montebourg, Benoit Hamon, Cécile Duflot disent que l'austérité c'est la débâcle.

Vous posez là une question importante. Quand on écrira l'histoire de cette période, on verra que cette partie de la conférence de presse de François Hollande était la plus importante. Reprenons les choses dans l'ordre. Que s'est-il passé ? Depuis hier soir, des membres du gouvernement ont remis fondamentalement en cause la ligne suivie. Et François Hollande les a recadré très directement. À juste titre, car la situation de la France est telle que le sérieux budgétaire, le vrai, nous ne l'avons pas encore fait autant que nous le devrions.

Vous dites qu'il les a recadré... Il a seulement dit que les ministres ne pouvaient pas critiquer la ligne. Il ne sont pas sanctionnés.

J'ai écouté la conférence de presse et, en termes polis, c'était un recadrage. Il a dit : le sérieux, c'est notre ligne. Ce recadrage débouchera sur des clarifications : ou bien ils abandonnent leurs critiques, ou bien la gauche, comme je le pense depuis longtemps, est exposée à une rupture très grave car elle comporte deux lignes incompatibles.

Vous dites qu'un remaniement est inéluctable.. mais Jean-Marc Ayrault porte déjà cette ligne de l'austérité.

Je dis qu'un remaniement est inéluctable car une équipe de quarante ministres et d'autant de cabinets en communication, qui se contredisent dans tous les sens, avec des tweets qui fusent dans tous les sens, cela ne peut pas durer. D'ici quelques semaines, cela changera.

On parle d'une équipe commando d'une quinzaine de ministres... Vous avez peut-être des infos, vous qui parlez avec François Hollande de temps en temps ?

J'ai simplement trouvé que sa déclaration publique, ce midi, était une déclaration qui disait quelque chose. Cela n'arrive pas tous les jours, qu'une déclaration politique dise vraiment quelque chose. Et je pense que cette clarification aura un impact à court terme.

Vous avez pris sept points de popularité dans le sondage IPSOS pour le Point d'aujourd'hui. Vous auriez le profil pour mettre en pratique cette clarification ?

Si vous êtes en train de me faire dire qu'avec cette ligne, que je défends depuis des années sans rien céder, je prépare une manœuvre, vous vous trompez. Je la défends car je sais au fond de moi que les gens sont extrêmement fâchés de la ligne politique actuelle et qu'ils pensent, à juste titre, qu'elle ne correspond pas à ce qu'est leur vie. Ce qui est en train de monter parmi les citoyens français, comme remise en cause de la manière dont la politique est organisée dans le pays, mérite des réformes sérieuses et que la classe politique fasse face ses responsabilités.

Bernard Arnault a annoncé aujourd'hui qu'il renonçait à demander la nationalité belge et a réaffirmé son attachement à la France. Qu'en pensez-vous ?

Tant mieux ! Ce qui était anormal, condamnable, c'était qu'on nous présente ces derniers mois des Français éminents qui voulaient quitter leur pays pour des raisons fiscales. Alors tant mieux si c'est le chemin inverse qu'on nous annonce cette fois. Vous savez, on emmène pas sa patrie à la semelle de ses souliers. Quand vous êtes enfant d'un pays, vous devez le servir. Il vous a beaucoup apporté, le pays. Le servir est quelque chose d'obligatoire. Nous ne devons pas le regretter, même si cela fait le sacrifice de quelques sous.

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