"Dire qu'il faut remettre les immigrés dans les bateaux, c'est semer la haine", s'indigne François Bayrou

Publié le par Modem

 

 
10 mars 2011
 
François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, a répondu aux questions de Public Sénat, jeudi 10 mars.

Il estime "qu'il y a un climat de décomposition" et que Nicolas Sarkozy commet "une grave erreur politique" en faisant la course avec le FN. Découvrez cet entretien.

Public Sénat François Bayrou est-ce que vous considérez que le climat politique est malsain ?

François Bayrou On est dans une décomposition générale de la vie politique que les gens rejettent avec des problèmes qui ne sont pas traités. Surtout ce qui est frappant, c’est le climat de décomposition, l’idée que beaucoup de Français ont cru à ce qu’il leur avait été dit pendant la campagne de 2007, s’aperçoivent que rien ne s’était réalisé. Alors de scandales en scandales, d’affaires en affaires, d’affrontement de personnes en affrontement de personnes, tous les jours c’est pire. Où cela va s’arrêter ? Et ce qui est terriblement frappant pour moi qui correspond à ce que j’avais analysé depuis le début, j’ai écrit un livre qui s’appelle « l’Abus de pouvoir », c’est l’effondrement des deux forces politiques qui ont fait la vie politique française depuis 25 ans. UMP et PS tombent en même temps. Je vais vous donner deux chiffres, les sondages un an avant la présidentielle de 2007, c’était Ségolène Royal 35, Nicolas Sarkozy 35. Actuellement c’est 20/20.

Public Sénat Ce qui veut dire ?

François Bayrou Ce qui veut dire qu’à l’époque il y avait deux français sur trois qui étaient pour les deux forces, ils sont maintenant un sur trois.

Public Sénat Et vers qui vont-ils aujourd’hui ?

François Bayrou Il y a l’épisode de la tentation de l’extrême droite mais il faut la regarder en face. Les deux thèmes choisis par l’extrême droite, ce sont deux thèmes mortels pour la France. Le 1er c’est dresser les gens les uns contre les autres, qui tu es, d’où tu viens, quelle est ta couleur de peau… et user de la laïcité, qui est un instrument de tolérance pour en faire un instrument anti-islamique. D’abord désigner les musulmans comme cible, ce que fait le gouvernement depuis un certain temps, l’extrême droite relaie avec plus de fruits. C’est un poison mortel pour le pays. Un pays comme le notre, sa seule chance c’est de se rassembler.

Et le 2ème thème, on va sortir de l’euro pour résoudre les problèmes de la France, c’est la misère pour tous le monde et particulièrement les pauvres. Pourquoi ? Parce que le pays se trouve devant un Himalaya de dette, libellée en monnaie forte, si vous devez le payer en monnaie française faible alors c’est un drame pour des générations. Donc il faut regarder ces deux thèmes et dire c’est mortel et être en situation de combattre et de proposer autre chose.

Public Sénat Tout à l’heure vous disiez, que la majorité faisait la course avec le FN…Face à la montée de l’extrême droite, est-ce que la majorité est en échec ? Est-ce que c’est de la faute de l’UMP ce que l’on voit dans les sondages ?

François Bayrou L’UMP et Nicolas Sarkozy, son entourage ont choisi ce qui est pour moi l’erreur politique par excellence, ils ont choisi de faire campagne sur les thèmes de leurs concurrents de l’extrême droite. Or, quand vous faites campagne sur les thèmes de vos concurrents, vous leur apportez des voix. Et comme les problèmes ne sont pas réglés évidemment ça flambe. Alors pourquoi, ils ont choisi de faire cela ? Ils ont fait cela car il voit une droitisation continuelle de la société française. Je ne dis qu’elle n’existe pas mais le rôle des responsables politiques, ce n’est pas de suivre les dérives, c’est si possible avoir assez d’élan pour corriger les dérives.

C’est une erreur grave au niveau du pays, c’est une faute du point de vue du politique. Si vous venez faire campagne sur mes thèmes, il faut changer la pratique du pouvoir, il faut mettre l’accent sur l’Education…dire la vérité aux gens, si vous faites campagne sur ces thèmes, évidemment ça m’aide et bien ce qui se passe pour l’extrême droite c’est la même chose. Ils ont choisi de faire campagne sur les thèmes directs de l’extrême droite. Evidemment, cela donne les fruits les plus pernicieux.

Public Sénat La gauche perd énormément de terrain, ça sert qui ?

François Bayrou Pour l’instant cela sert dans les sondages. Les mêmes qui ont fait ces sondages, la vieille de l’élection de 2007 mettaient Le Pen devant moi, et j’ai fait le double de Le Pen. Je dis vous voyez bien prudence dans cette affaire là. Moi je suis pour la transparence dans les sondages. Qui payent ? Comment les questions sont posées, j’ai appris, qu’ils payent les gens qui répondent ! Tout ça pour moi, c’et vraiment une déviation.

Il y a une énorme demande des Français, pour tourner la page sur les 20 ans qu’on vient de vivre, le temps de l’UMP au pouvoir, le temps du PS au pouvoir, deux partis se comportant comme des partis uniques. Il faut qu’il y ait un élan de gens qui soient des reconstructeurs mais au lieu que ce soit des extrémistes et qu’on aille dans le mur, il faut des républicains qui aient la force de changer les règles pour que la politique se comporte autrement, et qui s’occupent des deux sujets les plus importants, comment on produit en France, comment on éduque en France. Car si on ne produit pas, comment on intègre les gens qui ne trouvent pas d’emploi. Tous les maux de notre société se retrouvent dans notre incapacité à être des producteurs, des concepteurs, des imaginatifs parce que la théorie politique c’est bien mais la vie politique de tous les jours c’est mieux.

Quand même on vient d’augmenter le gaz de 21 pour cent en un an, les prix sur le marché mondial a été divisé par trois ! Et personne ne dit rien.

Public Sénat Personne ne dit rien. Vous appelez à une révolution des Français ?

François Bayrou Non, ce n’est pas des révolutions, on sait comment cela se termine en France, moi j’appelle simplement à rebâtir à partir des fondations. La France est un pays qui a vraiment des chances. La natalité, c’est une chance, on va être un des pays les plus jeunes. C’est un pays incroyablement équipé. C’est un pays fertile qui a une agriculture. Il y a partout des collèges, lycées, des universités. Pourquoi on ne peut pas jouer ces atouts ? Parce que la politique a deux échecs lourds, le 1er : la pratique du pouvoir qui fait que tout est entre les mains d’un clan, cette pratique du pouvoir les idées, d’être entendu et cela génère des injustices. Ce qui s’est passé avec le bouclier fiscal, qui va heureusement être supprimé, je vous rappelle que moi j’ai voté contre et en 2007 et en 2004 par le gouvernement Villepin parce que je croyais que c’était une incroyable erreur. Pourquoi ? Parce que c’est un seul camp sans avoir besoin d’échanger et de partager ses idées avec d’autres. Donc le pluralisme est une garantie que les bonnes idées triomphent. Et si on veut le pluralisme, il faut changer les institutions.

Deuxièmement, il faut qu’on sorte des promesses purement verbales et si possible dire aux gens humblement la vérité. Dites leurs les choses comme elles sont. Comme je l’ai fait en 2007 sur la dette, et qu’il faut dire aujourd’hui pour l’immigration. Ceux qui vous racontent qu’on peut remettre les immigrés dans les bateaux et les ramener chez eux, 1- ce sont des semeurs de haine et 2- ce sont des menteurs car personne ne le fera naturellement.

François Bayrou, vous dites la vérité, vous avez peur de ce que les gens appellent un 21 avril à l’envers ?

François Bayrou Je n’ai peur d’aucune circonstance, ou aucun évènement électoral.

Public Sénat Mais vous pensez que cela peut arriver ?

François Bayrou Non, dans la vie il faut se battre quand on pense que les choses essentielles sont en jeu. Il y a des moments où il y a des mouvements populistes folklo. Je refuse de considérer que notre pays est ce qu’il était dans les années 30. Je refuse de penser cela. C’est une idée que nous devons faire reculer, nous ne devons pas être rusés. Il faut le prendre comme des guerriers, droit devant.

Public Sénat Qu’est ce que cal veut dire ? Un front républicain par exemple ?

François Bayrou Non, le front républicain ce sont des manœuvres désespérées quand il n’y a plus que ça, on fait un front républicain. Je vous rappelle que Jacques Chirac aurait du en tenir compte en 2002, c’est par ça qu’il a été élu, il s’est assis dessus le lendemain. Il a négligé le lendemain, ce qui l’avait élire. Il avait un devoir qu’il n’a pas rempli. Et je me suis opposé à lui. Nous avons eu un accrochage assez vif sur ce sujet. Mais nous n’en sommes pas au Front Républicain. On en est à poser la grande question aux Français. Vous voulez tourner la page ? Vous avez raison de le faire, vous avez deux chemins pour le faire. Vous avez l’extrémisme, il vous conduira au drame. Vous vous rongerez les ongles jusqu’au sang, si vous donniez crédit à ces idées mortelles. Car ce n’est pas l’identité nationale, ce n’est plus ça.

Ou deuxièmement, la solution pour tourner la page, ce sont des démocrates, des républicains, des gens équilibrés, des gens qui ont analysé la situation depuis des années et qui ont résisté à toutes menaces, à toutes les sirènes.

Public Sénat C’est vous, François Bayrou l’alternance avec d’autres démocrates républicains?

François Bayrou En tous cas moi j’ai dit que je pensais ces rassemblements nécessaires. L’élection présidentielle, c’est une centrifugeuse, tout ce qui ne pèse pas un poids est éliminé, il faut que les gens se prononcent. Est-ce qu’ils veulent que cela change ou que cela reste comme cela? Et s’ils veulent que cela change, quelles sont les solutions à prendre ? Il me semble que ça c’est un raisonnement qui s’impose.

Public Sénat Depuis le début de cet entretien, vous n’avez pas employé le mot centre ? C’est stratégique ?

François Bayrou Non, d’abord le centre je l’ai incarné suffisamment dans la vie politique française, pour ne pas répéter son nom constamment. Il y a un problème de définition du centre, j’ai toujours refusé que le centre ce soit entre deux chaises, j’ai toujours plaidé pour que le centre il se regarde comme étant une alternative à la droite qui dérive et à la gauche qui se trompe. J’ai toujours plaidé pour ça. Et je me suis toujours opposé à des gens qui disent je suis au centre donc nous allons à droite, car le centre ne peut être qu’être qu’allié qu’avec l’UMP.

Ici dans cette maison, au Modem où nous avons construit les moyens de notre liberté. Les autres c’est l’UMP qui leur signe les chèques, alors c’est une liberté limitée quand vous devez aller à la fin du mois aller voir vos puissants, la puissante tutelle en disant s’il te plaît monsieur est-ce que tu peux me signer un chèque ? Bon ça amenuise beaucoup la liberté. Cette entreprise que nous allons conduire, moi je la conduis portes ouvertes. Tous ceux qui sont de bonne foi, auront leur place dans cette immense tâche de reconstruction. Je ne suis pas un sectaire. Oh j’ai des souvenirs, je n’efface pas tous les souvenirs…mais je pense que maintenant la preuve est faite que c’était dans ce courage là qui était la seule voie possible et que les autres menaient à la disparition. Je considère que l’on a droit de se tromper, donc la porte de cette maison est toujours ouverte à condition qu’il n’y ait aucune manœuvre, à condition qu’il n’y ait aucune tentative de dilapider le capital de liberté et de force de proposition, à condition que l’on veuille reconstruire la France et que l’on ne veuille pas s’arranger pour piquer des voix pour que cela dure comme maintenant.

Public Sénat Pas de 1er tour pour aller vers un 2ème tour, pour se vendre pour un plat de lentilles, c’est ça que vous voulez dire ?

François Bayrou Je vois toutes les manœuvres, je sais lire entre les lignes. Ici c’est une démarche fondamentalement de reconstruction. Ici nous avons fait la preuve que ce que nous voulons c’est changer les choses en profondeur. La plupart des problèmes du pays sont assez facilement solubles et de nature à donner de l’espoir, qu’ils puissent se regarder dans la rue sans maugréer, qu’ils puissent travailler ensemble, qu’ils puissent penser que l’avenir de leurs enfants soit positif et y croire être surs qu’ils vont recevoir la meilleure éducation du monde, y a du boulot. Pour moi c’est possible, ça me semble facile. Il n’y a qu’un problème ce sont les finances publiques, la dette, le déficit, ça c’est un problème qui n’est pas facile à régler.

Public Sénat Et vous êtes prêts à travailler avec tout le monde jusqu’à Jean-Louis Borloo, en passant par Dominique de Villepin par exemple ?

François Bayrou Il faut que chacun fasse ses choix, mais pour moi vous savez ce que j’ai de plus profondément au centre, moi qui porte les couleurs du centre, qui ai cette responsabilité en France depuis plus de 10 ans, qu’il les ait porté 2 fois à l’élection présidentielle, en 2002 comme candidat honorable et en 2007 comme candidat majeur. Ce que j’ai de centre, c’est que je ne me vois pas d’ennemis dans la vie politique chez les républicains, c'est-à-dire que oui il y a des femmes et des hommes au parti socialiste avec lesquels je n’aurai aucun problème de travailler, idem à l’UMP.

Je vais prendre un exemple très bête, Juppé et Rocard viennent de signer un ouvrage ensemble autour duquel ils multiplient les compliments l’un envers l’autre, quelle est la force politique en France qui leur dit, au lieu de signer des livres, un jour vous envisagez de travailler ensemble ? Il y en a qu’un qui le dit depuis des années pas pour faire du débauchage, je ne vis pas la vie politique dans les courants républicains, comme des ennemis. Je pense que ces sensibilités différentes sont utiles au pays. Je pense que nous avons chacun à l’intérieur de nous de ces 3 courants. Le courant qui cherche à conserver ce qui mérite de l’être, de l’ordre, le courant qui cherche à faire bouger les choses et le courant qui cherche l’équilibre et la justice. Tous les Français ont un peu des 3. Je pense que ces sensibilités sont utiles au pays. Entre Strauss Khan et Fillon par exemple, y a des nuances mais, et même Martine Aubry, moi je pense que l’essentiel est dans cette reconstruction que j’évoque devant vous. On a besoin de gens qui propose l’espoir et pas de la dinguerie. L’extrémisme c’est de la dinguerie et c’est mortel. Il faut que les républicains considèrent qu’il n’y a aucune fatalité dans cette affaire et qu’ils vont s’en occuper. Les démocrates, il faut qu’ils considèrent que le peuple a suffisamment de force pour combattre ce qui va le détruire.

Public Sénat Publicsenat.fr fête ses 1 an aujourd’hui… Est-ce que Internet ça vous fait peur ?

François Bayrou Non, depuis les années 2000 et depuis les années 90, je suis pratiquant d’informatique, je l’ai toujours été. Ca doit être mon vingtième ordinateur. Cela ne me fait pas peur. J’étais invité chez Drucker, j’ai invité les promoteurs de Wikipedia. Je considère que c’est une œuvre de civilisation incroyable. Vous mettez à disposition de tout le monde l’accumulation de toute la science gratuitement au lieu d’être vénal, c’est du don gratuit de science. C’est une révolution de civilisation, pour moi, c’est une étape de l’humanité. Ne vous méprenez pas dans internet, il y a le plus dégueulasse du monde : les délateurs, ceux qui autrefois envoyaient des lettres anonymes étaient envoyées à la Kommandantur, les organisations de pression d’opinion qui envoient des injures sur les sites ce n’est pas beau mais c’est comme l’âme humaine, vous vous souvenez d’Esope, montre moi ce qui la plus belle chose et il montre une langue de bœuf, montre-moi le pire, il montre une langue. L’humanité c’est cela il y a le plus généreux et le plus haut et le plus dégueulasse. La responsabilité du politique c’est de tirer vers le haut.

Public Sénat Et Twitter, Facebook, vous utilisez les réseaux sociaux ?

François Bayrou J’ai un compte Twitter mais je ne l’alimente pas. Ce qui me gêne c’est d’écrire en 140 signes. J’aime beaucoup les Haïkus (courts poèmes japonais Ndlr) quelque fois vous avez envie de mettre plus d’une phrase, j’ai beaucoup de followers, peut-être qu’il y a là quelque chose de bien. L’autre jour, j’étais invité d’une émission sur France 2, mon nom était le plus cité sur Twitter en France, j’ai trouvé que c’était intéressant. Pour l’instant faire soi même le compte-rendu, c’est un mode d’expression un peu court.

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